« Il faudrait qu’on nous change les piles (bis)
Lalalalala lalalalala »
Quand Vanessa Paradis entonne le refrain que M lui a composé, notre pensée est à peine effleurée par cet ustensile pourtant indispensable à l’autonomie et l’indépendance de nos jouets (sans parler des nombreux objets de notre quotidien) : la pile ! Il était plus que temps que Toyzmag consacre un moment à cette source d’énergie électrique à laquelle on ne fait même plus attention et qui pourtant, contrairement aux prises de courant ou même celles des chargeurs de nos téléphones, réussit l’exploit d’être universelle !
Retour donc sur la pile, partenaire incontournable des toys avec un dossier qui va vous étonner autant que vous surprendre : l’Alcaline UCAR avec sa publicité révolutionnaire diffusée à partir d’avril 1980 (et au moins jusqu’en 1984) qui a forcément marqué durablement vos esprits par son lien évident avec vos films préférés : 2001, Star Wars et autres Alien…
Magnéto Serge :
Avant l’arrivée près du poste de radio, le film rappelle un peu le début de Star Wars, vous ne trouvez pas ? Gamins en tout cas, nous y pensions tous, à quelques semaines de la sortie de l’Empire Contre-Attaque, lorsque cette publicité était diffusée avant Temps X ou San Ku Kaï… Et pour cause ! Le film, d’un budget inférieur à 500 000 francs de l’époque n’est autre que l’œuvre de Robert Blalack, un des responsables oscarisé des effets spéciaux de Star Wars, récemment venu en France ! Et il y a mieux : le dessin et la maquette du vaisseau, celle qui transporte les piles, ont été réalisés par Christopher Foss.
Chris Foss, proche de Giger ou d’autres, est un artiste et illustrateur anglais né en 1946, mondialement connu pour ses paysages et vaisseaux de science-fiction. Ses concepts-arts ont servi pour le projet Dune de Jodorowski mais ont aussi inspiré Star Wars, Alien et de nombreux autres projets.
Pour la firme UCAR, faire appel à ces spécialistes relevait d’une volonté de sortir clairement la pile du quotidien. En passant par l’agence Young & Rubicam en 1979, il fallait valoriser l’apparition de la pile alcaline, plus « endurante » que la pile charbon-zinc habituelle. Pour l’agence, comment faire passer l’idée de la longue durée des piles autrement qu’avec un petit lapin rose, emblème de célèbres concurrents ? En se tournant vers le studio de production américain MPI (alias Motion Pictures dont Blalack fait partie), l’agence veut clairement surfer sur la vague de science-fiction qui envahit la France au début des années 1980. Comme l’explique Claude Degoutte dans un article de Stratégies, quoi de mieux pour « débanaliser » le produit que de « le sortir du quotidien » ? Dans la mesure où « cette sensibilisation au futur n’est pas uniquement un phénomène conjoncturel mais tend bien plutôt à devenir un phénomène de société : il suffit de voir avec quel enthousiasme les jeunes s’intéressent à tout ce qui a trait à l’espace…« , il faut se lancer dans un spot de qualité irréprochable, surpassant tout ce qui a été fait jusqu’à présent et, si possible, égaler les films de SF du moment.
Degoutte poursuit « dès le début, on a cherché à reconstituer (…) les superproductions américaines en prenant l’option de faire une référence immédiate à tout l’univers de la SF; Il fallait évoquer ces voyages spatiaux, ces déplacements de vaisseaux immenses et très lourds qui évoluent avec la grâce que l’on a pu voir dans 2001 ou Silent Running. (…) Les deux éléments essentiels étaient étaient la crédibilité et la pureté. [Le vaisseau spatial] devait avoir l’air du vaisseau de Star Wars et n’être absolument pas perçu comme une maquette. » l’Agence se tourne d’abord vers la France mais aucun producteur ne propose à l’époque autre chose que de l’animation. Or Young & Rubican ne veulent pas un dessin animé, ce n’est pas l’effet recherché. « Au lieu d’avoir du Star Wars, on aurait eu seulement du Goldorak » résume assez bien Claude Degoutte…
l’énergie qui défie le temps
Comme pour un vrai Star Wars, on réalise d’abord un « animatic » à partir de crayonné de Chris Fross et d’une photo de la terre fournie par la NASA. On prend soin également d’aller étudier ce qui se fait un peu partout en matière d’évolution de vaisseaux sur grand écran. MPI est retenu selon ces critères, auxquels s’ajoutent donc ceux de la maîtrise budgétaire et le respect des delais fixés.
Outre le film animé, la campagne comprenait une affiche 4X3, des autocollants, PLV, etc… Pour ce document visuel constitué d’une image fixe, plus question de faire atterrir une pile : le dessin de Fross montre plus clairement que dans la pub télé les piles qui servent de « moteur » au vaisseau flottant au-dessus de ce slogan « l’énergie qui défie le temps« . Étonnamment, Fross est tellement fier de son illustration qu’il demande à UCAR s’il peut l’utiliser dans un de ses futurs albums ! Pour MPI, il s’agit de leur première collaboration dans le domaine de la publicité.
Le film ne comporte que cinq plans mais chacun a nécessité un traitement bien particulier pour une qualité d’image optimale. Les effets spéciaux sont du même niveau que pour Star Wars : caméra contrôlée par ordinateur pour le vaisseau, superposition d’images, etc… C’est un bras mécanique caché derrière la pile qui permet sa rotation et sa descente en douceur près du transistor. Il y a la volonté de transmettre des mouvements assez souples comme par magie. Au niveau du son, le bruit du vaisseau, calqué sur les débuts des films comme Star Wars ou Alien, laisse progressivement place à une musique classique qui se termine en apothéose avec des mesures connues de Casse-Noisettes de Tchaïkovsky semblant sortir du transistor.
En voix-off, c’est l’immense acteur Jean Martinelli (1909-1983) qu’on entend, d’abord avec un son métallique et quasi robotique puis une voix plus humaine. Voix, musique et image semblent faire cause commune pour indiquer une multiple progression. Progression de l’espace vers la terre, du futur vers le présent (celui de 1980), de la SF vers le réel, etc… Le discours est à l’avenant : « Il existe une énergie qui défie le temps. C’est l’énergie UCAR. Piles alcalines UCAR : de l’énergie pour longtemps. Maintenant en vente sur terre ». Difficile de ne pas entendre également « Icare » au prononcé du nom de la pile. Les enfants traumatisés par le film d’Henri Verneuil « I comme Icare » sorti à la même époque ont sans doute fait inconsciemment le rapprochement et il n’est pas impossible que les concepteurs aient glissé comme une référence.
Dès 1980, Claude Degoutte se lance dans une analyse assez forte de cette publicité et de son possible sens caché vertigineux. En écrivant à un moment « HALcalines », il a en effet compris que les intentions du publicitaire sont de créer un lien subtil avec 2001, Odyssée de l’Espace (Stanley Kubrick – 1968). Dans le film le vaisseau vient vers la terre alors que sur l’affiche il semble s’en éloigner… La pile est à la fois la source de propulsion du vaisseau mais aussi le « cadeau » d’une éventuelle entité extra-terrestre fait aux hommes sur la terre ! « Dans un rapport de continuité et d’opposition de couleur (blanc/noir), le vaisseau est évidemment la métaphore du transistor final. (…) Il y a simple échange d’énergie entre l’objet rêvé issu d’une imagerie populaire et l’objet quotidien banal mais encore auréolé d’onirisme (le sable, la mer…)« .
Selon lui, le « transfert sans heurts joué sur le mode de la reconnaissance » fait penser au parcours du monolithe noir dans 2001 mais sous forme d’un voyage-retour. « Maintenant en vente sur terre ». Dans le film de Kubrick, il partait en effet de la terre vers l’infini et là, il reviendrait sous forme de pile sur une plage de vacances. Il semblait d’ailleurs important que le largage de la pile ne fasse pas penser à la chute d’une bombe, ce qui est peut-être le seul petit défaut du film à notre goût… On parvient malgré tout à associer brillamment « deux valeurs contraires : la pureté et la technicité« . Incontestablement pour les gamins ayant vu le film en 1980, ce film publicitaire parvient lui aussi à… défier le temps.
La conclusion poétique très amusante de Degoutte mérite d’être finalement retranscrite car il apporte une dernière lecture, aussi pertinente que datée, à ce film : « Robinson est allé pêcher et tout à l’heure, grâce à la pile noire tombée du ciel, il pourra écouter le jeu des 1000 francs ! »
Remerciements : l’auteur tient à remercier Claude Degoutte, réalisateur et auteur de Radioscopie d’un film : UCAR dont les citations entre guillemets sont tirées. Ce dossier n’aurait pu être réalisé sans son remarquable travail de décryptage effectué en 1980 dans le numéro 229 de Stratégies. Merci aussi à l’INA et son site sur lequel vous pourrez retrouver les publicités UCAR.
Passionnant !!!.. Merci pour cet article, j’avais complètement oublié cette pub révolutionnaire !!!…
Un grand merci. J’ai moi-même eu la surprise de découvrir que cette pub qui me fascinait étant plus jeune avait une histoire aussi géniale !
Passionnant et bravo pour cet article !
J’aurais bien vu un ayato sortir d’un derrière D’une PLV UCAR !
Merci. Oui c’est vrai qu’on est pas très loin de San Ku Kaï… Il y a aussi une référence à un film peu connu qui s’appelle Meteor auquel Foss participait à l’époque.
C’est la voix de JP belmondo?
Anis, c’est la voix de… Dieu ! Non je rigole : je donne le nom du narrateur dans l’article 😉
Cette pub est très surprenante ! D’un côté elle est très sympa et d’un autre elle fait un peu peur.
On retrouve la 1er plan Star Wars avec le vaisseau mais aussi en 2eme partie un côté 2001 odyssée de l’espace. La voix off n’est pas sans rappeler le flim le Trou noir.
Bref créatif et dans l’ère du temps des années 80 !
merci Fansolo pour ce rappel 😉
Merci Greg. C’est une pub qui voulait faire date et qui ciblait forcément le public de tous ces films cités… Une énergie pour longtemps ? Un film pour l’éternité !
Ironie de l’histoire, à ma connaissance les piles Ucar n’existent plus…
Dimentions de l’ancienne pile UCAR : LD388 ? Pour montre OMEGA de ville ( 1330 ) , MERCI .